Poème de la semaine #19 – Le Long du quai par Sully Prudhomme (1839-1907)

File:The Gulf of Marseilles Seen from L'Estaque MET DT1029.jpg - Wikimedia  Commons
Baie de Marseille, vue de l’Estaque – Paul Cézanne


Le Long du quai

Le long des quais les grands vaisseaux,
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.

Mais viendra le jour des adieux ;
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent.

Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l’âme des lointains berceaux.


Nonobstant son statut du prix littéraire le plus prestigieux du monde, la plupart des gagnants du prix Nobel de littérature restent ou resteront inconnus pour le lecteur contemporain. Si vous ne me croyez pas, voyez la liste des lauréats et dites-moi combien vous en avez lu: https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Nobel_de_litt%C3%A9rature#Liste_des_laur%C3%A9ats.

En général, ce fait est parfaitement compréhensible car la grande majorité des écrivains ne laisseront pas des oeuvres de qualité permanente. Toutefois il y a d’autres lauréats qui sont injustement oubliés pour une autre raison beaucoup plus difficile de préciser.

Hélas, pauvre Sully Prudhomme, le premier lauréat du prix de littérature ! Son élection fut très mal accueillie à l’époque, au moins au-dehors de la France. En Suède, August Strindberg alla jusqu’à dire que Prudhomme n’était presque pas un poète.

N’est-ce pas un peu trop dur ? On peut plaider en faveur de Tolstoï, Ibsen ou Hardy en disant qu’ils étaient des meilleurs candidats et écrivains, mais constater que Prudhomme était un mauvais poète? Jamais.

Je vais accorder le bénéfice du doute à ces critiqueurs de Prudhomme en supposant qu’ils étaient affectés par l’injustice perçue dans la décision de l’Académie suédoise. Aujourd’hui j’espère que ces sentiments se sont calmés et qu’on peut honnêtement réévaluer son oeuvre. Il était un poète d’élégance et sensibilité et bien que ses poèmes n’appartiennent pas au style de l’époque moderne, on y trouve une qualité de permanence et une fraîcheur qui dure jusqu’à nos jours.

Forme
Trois quatrains en octosyllabes.

Analyse

Le poème se déroule dans une ville portuaire. Le poète observe les bateaux au long du quai. Leur mouvement sur les ondulations de la mer est reflété par les mains des femmes qui bercent leurs enfants:

Le long des quais les grands vaisseaux,
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.

Le poète présage les jours quand ces enfants doivent quitter le nid. Comme ville portuaire, beaucoup sont destinés à une vie au bord des mers:

Mais viendra le jour des adieux ;
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent.

Ce jour les navires connaîtront ce qui est devenu de ces enfants:

Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l’âme des lointains berceaux.



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